DES POLITICARDS-AFFAIRISTES KONGOLAIS ET LEURS DESIRS MIMETIQUES. (TRIBUNE DE JEAN PIERRE MBELU).

«Shiya bintu, ngwa kala. Nyisu wafua washiya nyoko. Nyoko wafua, washiya bibia. Bibia balua kubiangata kudi badidi.[1]» (Sagesse Luba)
Dans un article récent[2], j’ai fustigé le danger d’essentialisation de l’identité kongolaise en la réduisant à ses dimensions tribales et ethniques. Cette essentialisation identitaire peut constituer un handicap pour comprendre le lien existant entre les fondés du pouvoir du Capital, leurs entreprises et leurs « petites mains » que sont plusieurs politicards-affairistes kongolais.
Le Kongolais, comme tout humain, a besoin d’avoir suffisamment de moyens pour répondre à la nécessité : avoir un toit, manger, boire, s’habiller, se soigner, envoyer ses enfants à l’école, s’acheter un livre, etc. En principe, ces moyens sont au service d’une fin : bien-vivre, mener une vie bonne.
Etres de désir, habités par une angoisse existentielle, les fondés du pouvoir du Capital et leurs « petites mains » ont tendance à prendre les moyens dont l’humain a besoin pour un bien-vivre pour la fin de la vie. Cette confusion et/ou cette illusion nourrit une quête permanente d’un « pouvoir sur le pouvoir ». L’angoisse existentielle ne pouvant pas être apaisée par les moyens, par « les bintu kabiakudi » (les choses qui ne parlent pas), pervertit le désir en « violence-meurtrière ». Et au Kongo-Kinshasa, les désirs mimétiques des politicards-affairistes leur rendent les passions tristes désirables. Transformer le Kongo-Kinshasa en une jungle où la loi du plus pervers l’emporte sur la Vérité et la Justice a tendance à devenir la règle.
Comprendre que les politicards-affairistes kongolais font face à une angoisse existentielle qu’ils ignorent serait un pas important sur la voie de la recherche de la cohésion nationale. Eviter de sacrifier la Vérité et la Justice et engager les collectifs citoyens dans le processus de guérison de cette angoisse existentielle (ayant une importante dimension collective) serait une urgence. Ils doivent prendre une part active à la production d’un pays différent.
Posséder les biens pour répondre à une angoisse existentielle
Le Kongo-Kinshasa est en guerre. Il connaît une guerre perpétuelle alimentée par « le capitalisme du désastre ». Des économistes le dénomment aussi « capitalisme de la finitude »[3]. La guerre qu’il cause serait le produit de l’angoisse engendrée par le constat d’un « monde fini » et du désir capitaliste infini de la production et de la possession des biens. Posséder les biens pour répondre à une angoisse existentielle, telle est la fin que poursuivent les fondés du pouvoir du capital, leurs entreprises et leurs « petites mains ».
Posséder les biens pour répondre à une angoisse existentielle, telle est la fin que poursuivent les fondés du pouvoir du capital, leurs entreprises et leurs « petites mains ». Orientés vers cette fin, plusieurs politicards-affairistes kongolais, « petites mains » du Capital, entretiennent des désirs mimétiques. Tous veulent avoir des carrés miniers. Tous veulent avoir des comptes en banques bourrés d’argent. Tous veulent avoir des voitures dernier cri. Ils veulent avoir des chantiers en permanence pour construire
Orientés vers cette fin, plusieurs politicards-affairistes kongolais, « petites mains » du Capital, entretiennent des désirs mimétiques. Tous veulent avoir des carrés miniers. Tous veulent avoir des comptes en banques bourrés d’argent. Tous veulent avoir des voitures dernier cri. Ils veulent avoir des chantiers en permanence pour construire des maisons, des hôtels, des appartements, etc. Tous veulent envoyer leurs enfants dans les meilleures universités du monde.
Ces désirs mimétiques creusent en eux un manque qu’ils cherchent à combler en se livrant une quête perpétuelle de l’argent et de beaucoup d’argent. Les mandats électifs étant limités, leur désir inassouvi d’argent les pousse à orchestrer des combines pouvant leur permettre de « se retrouver » ; c’est-à-dire d’être là où ils peuvent toujours gagner de l’argent, d’être « aux affaires ». Donc, pour eux, la politique n’est pas l’art d’être au service de la cité, de ses concitoyens et du bien commun. Non. Ce sont « les affaires » pour accumuler de l’argent.
Leurs désirs mimétiques rétrécissent leur champ de perception du monde et des possibles qu’il offre. Ayant réduit leur monde à leur petit cercle de politicards-affairistes, ils sombrent souvent dans la déraison. Des passions tristes telles que la rivalité, la jalousie, la convoitise, l’envie et la cupidité les rongent. Pourquoi ?
Parce qu’ils cherchent à répondre à une angoisse existentielle matériellement seulement. En tant qu’êtres insatisfaits de leur être, ils perdent de vue que leur désir a besoin d’un minimum de reconnaissance et de réciprocité pour être un peu satisfait.
Les « bintu kabiakudi »
Or, les biens accumulés, « les bintu » peuvent avoir une bouche et ne pas parler. Elles sont « les bintu kabiakudi ». Elles sont des choses qui ne parlent pas. Donc, dès qu’elles deviennent la fin d’une vie, elles ne peuvent pas répondre à son angoisse existentielle parce qu’elles sont incapables d’entretenir une relation emprunte de générosité bienveillante, de reconnaissance et de réciprocité. Au contraire,le silence auquel ils sont soumis et l’idée de leur possible perte peuvent aggraver cette angoisse.
La perversion du désir et l’entretien des désirs mimétiques ont régulièrement besoin des boucs émissaires pour assouvir leur volonté de « violence-meurtrière ». Souvent, ce sont les populations kongolaises qui paient le prix.
Angoissés existentiellement, les politicards-affairistes, prennent « le pouvoir sur le pouvoir ». Et leur désir d’être se pervertit. Il se transforme en « violence-meurtrière ». Donc, « c’est cette faim d’être ( se sentir être, être reconnu, jouir de soi-même) qui s’exerce par l’avilissement d’autrui, sa soumission, sa réduction à l’objet (…).»[4] Cette perversion induit l’ignorance de l’altérité, de l’autre et du Tout Autre.
La perversion du désir et l’entretien des désirs mimétiques ont régulièrement besoin des boucs émissaires pour assouvir leur volonté de « violence-meurtrière ». Souvent, ce sont les populations kongolaises qui paient le prix. Les politiques-affairistes kongolais angoissés et leurs complices au service du Capital tuent les populations kongolaises pour répondre à leurs désirs mimétiques sans qu’ils ne se rendent compte que la perversion de leur désir a créé en eux un gouffre sans fond que le meurtre des innocents ne peut pas combler ; et que le manque en eux excède et excédera toujours les satisfactions matérielles momentanées que peuvent donner les biens de ce monde.
Les politicards-affairistes kongolais peuvent aussi trouver l’un ou l’autre bouc émissaire parmi eux et le vouer aux gémonies sans qu’ils ne renoncent à la déraison du mimétisme et au service du Capital. Chercher à tuer l’un ou l’autre d’entre eux et mobiliser leurs fanatiques, leurs thuriféraires, leurs applaudisseurs et leurs tambourinaires pour cela crée, depuis bientôt plus de trois décennies, l’illusion qu’ils peuvent rompre avec la perversion de leur désir et renoncer à leur avilissement et à leur assujettissement au service du « capitalisme du désastre ». Voilà !
Désirs mimétiques, Vérité et Justice
Faire la Vérité sur cette question des désirs mimétiques, créer des lieux et ses espaces où des soins appropriés peuvent être mis au service de l’angoisse existentielle dont souffrent les politicards-affairistes et plusieurs d’entre nous, cela est indispensable au pays où la guerre a déstructuré l’Etat et déculturé plusieurs filles et fils kongolais.
Vérité et Justice dans un cadre apaisé pour une cohésion nationale et une réconciliation rationnelle et raisonnable, voilà ce dont le pays a urgemment besoin.
Les victimes de la perversion du désir chez les politicards-affairistes kongolais ont et auront besoin que Justice soit faite afin d’éviter la récidive et de combattre la culture de l’impunité dont souffre le pays depuis plusieurs années.
Vérité et Justice dans un cadre apaisé pour une cohésion nationale et une réconciliation rationnelle et raisonnable, voilà ce dont le pays a urgemment besoin. Donc, terminer la guerre et/ou s’engager concomitamment dans la dynamique de la recherche d’une Paix véritable fondée sur la fin de la guerre de basse intensité, la récupération de la souveraineté du pays, la Vérité et la Justice, telle est la voie sur laquelle pourraient s’engager les collectifs citoyens initiés à la culture de la bienveillance, animés par des intellectuels organiques pouvant mettre au pas les politicards-affairistes kongolais. Car, considérant le Kongo-Kinshasa comme un gâteau, ils en appellent à une cohésion nationale sans Vérité, sans Justice. Pour eux, ce pays devrait être et demeurer une jungle.
Conclusion
Si les dimensions économique, historique, sociale, politique et historique de la guerre raciste de basse intensité imposée au pays doivent être étudiées et maîtrisées par le plus grand nombre de Kongolais, les questions liées à l’éthique, à l’anthropologie, à la métaphysique, à psychologie des profondeurs, à la philosophie et à la spiritualité ne devraient pas être négligées. La rupture avec la stratégie capitaliste en dépend. Tout comme la réinvention d’un autre humain kongolais et d’une tradicratie ouverte.
La réinvention d’un autre humain kongolais est processuel, il est résultatif. Cela prendre du temps. L’essentiel est que les intellectuels organiques et les collectifs citoyens s’y engagent et fassent le passage de relais.
Sur le temps long, la famille, l’école, l’église, l’université et les collectifs citoyens à la base de la société kongolaise doivent être mises à profit. La réinvention d’un autre humain kongolais est processuel, il est résultatif. Cela prendre du temps. L’essentiel est que les intellectuels organiques et les collectifs citoyens s’y engagent et fassent le passage de relais. Il y va de la survie du Kongo comme pays et des Kongolais comme peuple.
Babanya Kabudi
Tiré de www.ingenta.com
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