ANALYSE DU PROFESSEUR OSCAR SHAMBA BAMUENA

Disputes, polémiques et controverses dans le monde politique congolais : analyse diachronique et synchronique des discours des acteurs politiques.
La scène politique congolaise s’apparente à une véritable arène où se multiplient disputes, polémiques et controverses autour de la gestion des affaires publiques. Les anciens gouvernants, devenus opposants, et les opposants d’hier, devenus gouvernants, s’adonnent à des échanges acrimonieux souvent marqués par des invectives, des attaques personnelles, voire des propos haineux. À l’observation attentive, on remarque que les critiques jadis formulées par les opposants d’alors sont aujourd’hui reprises, parfois mot pour mot, par ceux-là mêmes qui, autrefois au pouvoir, les rejetaient avec véhémence. Ce jeu de rôle réversible témoigne d’une inconstance idéologique inquiétante, traduisant une pratique politique marquée par l’amateurisme, la versatilité et un manque de vision à long terme.
Dans cette ambiance, les acteurs politiques congolais évoquent moins la recherche du bien commun que la préservation de leurs intérêts personnels. Les disputes et polémiques semblent souvent aussi stériles que les cris des spectateurs d’un match de football prétendant en savoir plus que l’entraîneur et les joueurs sur le terrain.
Le criminologue Oscar Shamba Bemuna, chercheur au Centre de recherches en sciences humaines, propose une lecture diachronique et synchronique des discours politiques en RDC. Selon lui, les acteurs politiques congolais s’enferment dans une posture de déni : ils refusent de faire leur propre autocritique, n’assument pas leurs échecs passés et cultivent une forme d’amnésie stratégique. Leurs discours relèvent davantage de l’imposture que de la réflexion constructive.
Le langage comme outil de manipulation
L’analyse discursive proposée par Oscar Shamba Bemuna souligne la puissance du langage, capable aussi bien de construire la confiance que de la détruire. Les politiciens congolais instrumentalisent la parole politique comme outil de manipulation, d’usurpation et de falsification. Le mensonge et la désinformation sont devenus des moyens d'exister politiquement. La raison a cédé le pas à l’émotion, à la haine et à la jalousie. Dans ce contexte, la critique – même constructive – est perçue comme une attaque contre le pouvoir, alors qu’elle devrait être un levier de réforme.
Le peuple congolais, principal destinataire de ces discours, est quant à lui préoccupé par les urgences quotidiennes : se nourrir, se soigner, survivre. Il est souvent désarmé face à la complexité des enjeux politiques, sombrant peu à peu dans une forme de servitude volontaire, devenu spectateur de son propre destin plutôt qu’acteur de son avenir. Pourtant, c’est bien en son nom que les discours politiques sont tenus.
Paradoxalement, ceux qui prônent la paix dans leurs discours adoptent des comportements contraires à cette valeur. La culture de la paix – entendue comme l’ensemble des pratiques favorisant la coexistence pacifique, la justice sociale et le respect mutuel – n’est, dans ce contexte, qu’un slogan vide de sens.
Métaphore comique mais révélatrice
Une métaphore humoristique empruntée à une comédie ouest-africaine illustre parfaitement la duplicité de certains discours politiques. Dans cette mise en scène, un patron accuse son domestique d’un vol, mais chacun, à tour de rôle, assis sur une certaine chaise, devient soudainement incapable « d’entendre » la vérité. Cette chaise devient le symbole d’un pouvoir qui altère la perception, déforme le discours et permet à chacun de justifier l’indéfendable. Cette satire met en lumière la contradiction entre les discours tenus hors pouvoir et ceux adoptés une fois aux commandes.
Clarification conceptuelle : dispute, polémique et controverse
Avant d’approfondir l’analyse, il convient de distinguer les termes-clés mobilisés : dispute, polémique et controverse. Bien que tous renvoient à des désaccords, ils n’ont pas la même portée :
La controverse est une discussion argumentée, souvent entre experts, sur un sujet complexe.
La dispute désigne un échange conflictuel, parfois virulent, où l’émotion prime sur l’argumentation.
La polémique est une dispute publique, souvent agressive, destinée à décrédibiliser l’adversaire.
Dans le contexte congolais, on constate une prévalence des disputes et des polémiques sur les controverses véritables. Le débat scientifique sérieux sur les questions de gouvernance reste marginal, voire inexistant.
Controverse sur la révision ou le changement de la Constitution de 2006
La question de la révision – voire du changement – de la Constitution de 2006 constitue un sujet clivant, devenu presque tabou en République démocratique du Congo. Son évocation suscite immédiatement passions, tensions et suspicions, au point où la loi fondamentale semble devenir, pour reprendre les mots d’Évariste Boshab, une « citadelle imprenable ». Or, comme toute œuvre humaine, la Constitution doit pouvoir évoluer avec le temps.
Cette question révèle une profonde incohérence dans le positionnement des acteurs politiques. Ceux qui, hier, militaient en faveur d’une révision constitutionnelle – notamment les partisans de l’ancien régimen n sont aujourd’hui farouchement opposés à toute réforme. À l’inverse, ceux qui s’y opposaient au nom de la sauvegarde de la démocratie (UDPS, UNC, ECIDE, société civile...) plaident désormais pour un changement, sans pour autant produire de justifications claires ou cohérentes.
Cette versatilité s’explique par des logiques de pouvoir, non par des considérations juridiques ou institutionnelles. La Constitution est devenue l’otage des calculs politiques et des procès d’intention. Chacun soupçonne l’autre d’instrumentaliser la réforme pour rester au pouvoir.
Or, adapter une Constitution à de nouvelles réalités ne devrait ni être diabolisé, ni être utilisé comme un outil de légitimation d’ambitions personnelles. Cela exige un débat serein, inclusif, fondé sur des arguments objectifs et transparents.
Analyse diachronique et synchronique des discours
L’approche diachronique permet de retracer l’évolution des discours sur la Constitution dans le temps. Elle met en évidence les revirements spectaculaires des mêmes acteurs politiques selon leur position du moment (opposition ou pouvoir). Quant à l’analyse synchronique, elle examine les discours actuels en les confrontant à leur contexte, et révèle un manque flagrant de cohérence argumentative. Ceux qui militent aujourd’hui pour le changement ne sont pas en mesure de justifier ce revirement autrement que par des intérêts politiques à court terme.
Il apparaît donc urgent de rompre avec ces logiques de discours contradictoires, marqués davantage par l’opportunisme que par une vision républicaine. Le débat sur la révision constitutionnelle doit s’appuyer sur des garanties institutionnelles solides pour éviter les dérives.
Conclusion : vers un sursaut de lucidité politique
La situation actuelle révèle une profonde crise de la pensée politique en RDC. Les disputes et polémiques ont remplacé les débats rationnels. L’émotion domine, la raison est absente. Même les intellectuels et les scientifiques semblent avoir abdiqué leur rôle critique pour se transformer en relais des passions partisanes. Ce vide intellectuel et moral pose une question cruciale : qui sauvera la RDC de cette impasse ?
Une révision constitutionnelle peut s’avérer nécessaire, voire urgente. Mais elle ne pourra aboutir que dans un climat de dialogue sincère, respectueux des institutions et des aspirations du peuple congolais. Ce n’est pas dans les clameurs des disputes, ni dans le silence de ceux qui « n’entendent pas », que se décidera l’avenir du pays. Il faut réhabiliter la pensée, le débat d’idées, et replacer le citoyen au cœur de la construction démocratique.
Oscar shamba Bemuna, criminologue
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